Colonisations: Notre histoire
Pierre SingaravélouLe passé colonial aura comme nul autre enfiévré le débat public, justifié d’innombrables affrontements politiques, nourri les divisions identitaires et mémorielles. Comme si la France et ses anciennes colonies n’avaient posé les armes que pour continuer la guerre dans les livres d’histoire, les arènes politiques et les médias. On salue ou on condamne la toute-puissante « mission civilisatrice » de la France dans le monde en adoptant une approche comptable : un tableau de colonnes et de chiffres suffirait à établir le bilan positif ou négatif, toujours définitif, de l’expansion coloniale. Ici, on célèbre le rayonnement des Lumières, la construction des ponts et des écoles pour s’absoudre des atrocités de la colonisation, quand ailleurs on entretient la mémoire des massacres, du travail forcé, de la déculturation, en exigeant de l’ancienne métropole qu’elle fasse repentance. Nos sociétés sont parcheminées de failles si profondes que sans cesse point la tentation de s’en tenir à l’écorce visible, de voir dans la colonisation comme dans la décolonisation la cause primordiale, voire le séisme originel, et de concevoir son histoire comme la discipline expiatoire de tous les maux contemporains.